Ma rencontre avec le stoïcisme

Dès mon plus jeune âge, la recherche de sens m’habite. Je me demande comment les choses fonctionnent et pourquoi elles sont faites ainsi. La grande quête du pourquoi des choses me conduit à l’exploration des sciences et, dans une certaine mesure, à prendre connaissance du discours de diverses religions et philosophies, toujours dans le but d’expliquer l’univers dans lequel je vis et son pourquoi. Cette quête s’est intensifiée à l’adolescence, incluant cette fois des questions existentielles beaucoup plus personnelles liées à la signification de ma vie et au sens de celle-ci. Le mal-être vécu à cette période a agi comme un aiguillon, me poussant à chercher intensément une raison d’être que je voyais comme un exutoire à ma souffrance. C’est à cet âge que j’ai connu la thérapie cognitive (que je saurai plus tard largement inspirée du stoïcisme).

Je me rappelle, jeune homme d’une vingtaine d’années à la bibliothèque du Cégep de Chicoutimi, tomber littéralement en amour en lisant un livre déjà vieux : « Épictète ou le secret de la liberté » de Joseph Moreau. Les mots, le ton, le message, tout cela me parlait à un niveau profond et me rejoignait en quelque sorte, comme si je venais de rencontrer quelque chose qui me ressemble profondément, comme si je me regardais dans un miroir et me reconnaissais. Je venais de faire connaissance avec le stoïcisme d’Épictète, philosophe grec de l’époque romaine.

À ce jour, je n’ai jamais rapporté le livre à la bibliothèque…

J’étais fasciné. Je lisais des mots qui, loin d’être dépassés, me surpassaient, ayant bien conscience de comprendre une partie seulement du message véhiculé à travers ces écrits, non pas parce qu’ils étaient anciens, mais parce qu’ils me touchaient et que je sentais qu’ils allaient encore plus loin que je ne pouvais l’appréhender.

Au début, mon attrait était de nature intellectuelle. J’avais de l’admiration pour une vision du monde foncièrement optimiste et empreinte de liberté. Car la philosophie d’Épictète parle de liberté. Mais une liberté totale et absolue. Une liberté intérieure que ni le tyran ni la mort ne peuvent entamer. Une liberté toujours présente qui est notre nature d’homme, toujours à notre disposition, que nous en soyons conscient ou non. Mais tout cela restait une belle construction de l’esprit, des idées et des discours sans trop de rapport avec le reste de ma vie. Or le stoïcisme est tout sauf une vue de l’esprit. C’est essentiellement une philosophie pratique qui demande à être vécue et mise en pratique au quotidien. Les principes sont simples, mais la mise en pratique effective s’avère longue et difficile. L’affaire d’une vie quoi.

Mais tout cela m’appelait. Tout cela m’a interpellé pendant les 30 années suivantes, s’insérant petit à petit dans mon quotidien et devenant une manière d’être.  Au fil de ma vie d’homme et des accidents prévisibles de l’existence, j’ai eu l’occasion de vérifier le bien-fondé et la pertinence du discours stoïcien et j’ai peu à peu découvert jusqu’à quel point les enseignements formulés il y a plus de deux mille ans étaient concrets et tangibles, même pour un homme vivant à l’aube du 21ième siècle. À travers les épreuves, la philosophie d’Épictète résonnait de vérité et me guidait comme un phare dans la nuit à travers la maladie, les deuils, les revers de fortune, etc.

Qu’ai-je appris du stoïcisme après toutes ces années ?

Pour l’essentiel, la spiritualité stoïcienne représente encore pour moi une exigence profonde : devenir la meilleure version possible de moi-même tant dans ma relation avec le monde, les autres que dans ma relation avec moi-même. Tendre vers ce qu’il y a de meilleur, de plus élevé dans la nature humaine, acquérir dans la mesure du possible toutes les vertus indispensables au bonheur, vivre libre et mépriser la mort, jusqu’à la fin.

C’est aussi cultiver le détachement, un détachement total même face au corps. Adopter un regard distant sur le monde, sur sa vie. Replacer les événements et les choses dans l’ensemble du temps et de l’espace. Reconnaître que tout ce que nous qualifions d’urgent et de terrible ne sera au bout du compte que des chimères pour les futures générations. C’est aussi s’engager et remplir son rôle dans le monde : être un homme, un mari, un fils, un ami, un citoyen et y garder sa place. Mais toujours dans le plus complet détachement…

La pratique de la philosophie stoïcienne a fait de moi un homme plus solide, plus stable, plus responsable et plus humain. J’ajouterais plus heureux au final, mais d’un bonheur qui ne dépend pas des circonstances ou des aléas de l’existence. J’ai compris à travers elle que l’action est la véritable solution à tous nos problèmes, qu’elle prenne la forme d’une action sur soi ou d’une action sur le monde. Je me suis aussi considérablement réconcilié avec le monde tel qu’il est au lieu de lui superposer sans cesse un monde préféré mais irréel, illusoire. Quand je regarde le passage du temps, je mesure tout le chemin parcouru peu à peu, morceau par morceau.

Mais c’est loin d’être fini. J’entrevois que l’ascèse des Stoïciens va m’occuper pour le restant de mes jours. L’aspiration à une vie meilleure que promet cette philosophie demande qu’on lui consacre son existence toute entière. Comme le dit Épictète : « Rien de grand ne se fait en un jour. » Les fruits de la philosophie demandent patience et efforts soutenus : les résultats intéressants viennent à la longue.

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